« Fructifiez et multipliez ! ». C’est le tout premier commandement que, dans la
Bible, Dieu adresse à l’humanité.
Avoir des enfants ! Quel sens peut bien avoir cette injonction ?… Dans Le monde
commence, le Rav Gérard Zyzek, disciple du Rav Eliyahou Abitbol et fondateur de
la Yechiva des Étudiants de Paris, entreprend d’examiner et de penser en
profondeur la première mitsvah de la Torah. Et à partir d’elle, rien moins que la
condition humaine tout entière.
Cet essai foisonnant, nourri par de nombreuses lectures, médite, comme
l’annonce son titre, une paradoxale question qui se trouve au centre de toute
existence : comment, du sein du monde, quelque chose peut-il véritablement
commencer ?
Le défi qui se pose à l’homme est, en effet, d’introduire dans la vie quotidienne
jeunesse et fraîcheur renouvelée, sans pour autant se dérober à sa réalité
répétitive, sans se bercer d’illusions ou s’inventer un paradis de pacotille.
Si toute création véritable implique un ex nihilo, un néant préalable, comment s’intègret-elle dans le temps routinier des travaux et des jours ?
Or, la naissance d’un enfant est un événement qui, bien qu’il soit d’une certaine
façon dans l’ordre de la nature, porte en lui cette fulgurance surnaturelle ; de
plus, être parent nous permet de faire l’expérience d’un bienheureux désordre,
qui est la vérité même de la vie : avoir des enfants nous met certes en position
de créateur … mais notre royal trône, à peine édifié, n’est-il pas aussitôt chahuté
par une marmaille qui apporte de la contradiction, par des êtres
fondamentalement libres qui viennent troubler notre chère tranquillité ?
Tel est le premier des commandements divins : que le multiple sans cesse
conteste l’Un et sa toute-puissance pour y introduire de la vie. Singulier
monothéisme !
Fort de cette analyse première, l’auteur généralise son propos et entreprend de
montrer que toute naissance – dans l’acception large de ce terme – ne se peut
qu’au prix d’un bouleversement, d’un certain renoncement à la maitrise.
Ainsi, exister véritablement n’implique-t-il pas de savoir renaître, c’est-à-dire
d’en passer par une brisure radicale, de supporter une remise en question
profonde allant jusqu’à une certaine néantisation de soi ? N’être ou ne pas
naître ? Telle pourrait être, selon Rav Zyzek, la grande question !
Vivre, c’est dès lors assumer l’équilibre instable né de la tension permanente
entre ces deux injonctions contradictoires : « existe ! » et « sache que tu n’es
rien par toi-même ! ». Et s’il s’avérait que l’on s’affirme plus intensément à
mesure que l’on se déprend de soi ?
Que l’on ne se méprenne pas cependant : Rav Zyzek nous raconte l’aventure de
la subjectivité à partir d’exemples très concrets, enracinés dans l’existence. Le
lecteur, guidé par la pédagogie du maître, sa simplicité et son sens de l’humour,
se laisse joyeusement entraîner dans sa maison d’études, dans sa yéchiva. En
étudiant patiemment des passages du Talmud, mais aussi de textes tirés de
Maïmonide et du Maharal de Prague, il apprend à éduquer son oreille aux mille
et une nuances d’une pensée vive et puissante qui fait voler en éclats bien des
idées reçues. Il découvrira notamment que l’essentielle fragilité de la condition
humaine, lorsqu’elle est pleinement vécue, n’enveloppe pas l’existence dans un
halo d’amertume ; au contraire, elle seule, du point de vue de la tradition juive,
promet et garantit une joie authentique.
Raphaël Benoilid
L’Arche de janvier-février 2022 (n°690)
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